Le caoutchouc ou l’or blanc d’Amazonie
A la fin du XIXème et au début du XXième, l’Amazonie va attirer sur elle tous les regards. C’est la période de la fièvre du caoutchouc. Avec le Révolution Industrielle en Europe, la demande pour le précieux or blanc explose et c’est la forêt amazonienne qui est en première ligne. Retour sur une période qui a marqué l’histoire de la région.
Vue du ciel de la forêt amazonienne et du fleuve
La fièvre du Caoutchouc
Avant que le caoutchouc ne commence à susciter un intérêt sur la scène internationale, les indiens, qui en connaissaient déjà les techniques d’utilisation, s’en servaient pour calfater les voies d’eau de leurs pirogues.
En 1743, le caoutchouc (ou borracha en portugais) éveille la curiosité du naturaliste Charles Marie de La Condamine qui décrit alors le processus d'extraction et de fabrication de la gomme de latex. Plus tard, en 1770, Joseph Priestley, un anglais connu pour ses travaux de chimiste, crée le caoutchouc permettant d’effacer le graphite: c’est l’invention de l’indian rubber ou de la gomme à effacer. Toutefois, à cette époque, l’intérêt pour ce matériau n’est pas encore très grand. En effet, le latex reste difficile à maîtriser, il fond à de hautes températures et durcit lorsqu’il fait plus froid, le rendant alors cassant.
Le tournant va finalement se faire en 1839, lorsque Charles Goodyear découvre le processus de vulcanisation, un traitement industriel qui élimine les impuretés de la coagulation, faisant du caoutchouc un excellent matériau moins plastique et plus élastique, parfait pour en faire des pneus de voiture, de moto et de vélo. Puis, les progrès de la Révolution Industrielle et le développement spectaculaire de l’automobile vont réellement transformer le caoutchouc naturel en un produit hyper valorisé.
Après la ruée vers l’or, place donc au nouvel or blanc amazonien.
A l’époque, l’Hevea brasiliensis ou encore surnommé “l’arbre qui pleure” par les indiens, ne pousse que dans la forêt amazonienne et il est la seule espèce qui permet de produire un latex de haute qualité et en quantité suffisante.
Pour obtenir le précieux matériau, il faut faire une incision dans l’arbre afin de permettre au liquide de s’écouler. Ce dernier est ensuite récupéré dans des gobelets en fer, placés en dessous de l’entaille. Le latex doit finalement être coagulé autour d’un bâton placé à la fumée d’un feu de palmiers, afin d’obtenir une boule de 20 à 40 kg de caoutchouc.
Ce sont les “Seringueiros” qui sont chargés de récolter puis de transformer le liquide. Lors de la période de boom du caoutchouc, la demande de main d'œuvre explose. De nombreuses personnes du Nord-Est du Brésil migrent alors au cœur de la forêt amazonienne pour travailler dans les plantations, à la recherche d’une vie meilleure.
Seringueiro en train de récolter le latex
(Source : http://www.terrabrasileira.com.br/folclore3/m22seringa.html)
Au cours de la première décennie du XXème siècle, le Brésil est le principal producteur et exportateur de caoutchouc dans le monde. 40% de ses exportations proviennent de la forêt amazonienne. Toutefois, cette épopée va prendre fin de façon brutale en 1912, lorsqu’un anglais du nom de Henry Wickham, réussit à rapporter 40 000 graines d’hévéa en Angleterre pour en faire des cultures sous terre. Les plants sont ensuite exportés en Asie, dans les colonies anglaises, où la production s’avère beaucoup plus rentable qu’en Amazonie, rendant alors toute concurrence impossible. C’en était fini de la suprématie du caoutchouc amazonien.
Le bassin amazonien connaît cependant un regain d’intérêt au cours de la Seconde Guerre mondiale. Les japonais ayant envahi la Malaisie, devenue la principale productrice de caoutchouc, ils prennent le contrôle des plantations d’hévéa. Le gouvernement brésilien signe alors un accord avec le gouvernement nord-américain autorisant l'extraction du latex en Amazonie. Accord qui ne dura que le temps de la guerre.
L’âge d’or de Manaus
Grâce au boom du caoutchouc (ou ciclo da borracha en portugais), les régions amazoniennes se retrouvent projetées sur le devant de la scène internationale et connaissent alors une croissance fulgurante. Des villes telles que Belém ou encore Manaus vont ainsi sortir de leur léthargie et compter parmi les capitales brésiliennes les plus développées. L’or blanc attire au coeur de la forêt nombre d’étrangers, européens et américains à la recherche d’une richesse facile et rapide.
Sous l’influence des pays européens, la ville de Manaus se transforme. Ce sont des écoles, bâtiments publics, maisons, cinémas, musées qui sortent de terre le plus rapidement. Grâce à ces nouvelles richesses, les améliorations affluent. Le téléphone est installé en 1897. En 1898 arrive l’éclairage électrique : Manaus est l’une des premières villes brésiliennes à en bénéficier. Une révolution. Vient ensuite le tramway électrique. Aujourd’hui, celui-ci n’existe plus, mais les rails sont encore bien visibles au cœur de la ville. A l’époque, Manaus acquiert également le réseau d’eau courante ainsi que celui des égouts. On parle d’une époque où l’or mou achetait tout.
Vue du tramway sur le pont à Manaus
(Source : https://noamazonaseassim.com.br/tudo-sobre-o-ciclo-da-borracha-dos-primordios-ate-1920/)
Une réalité contrastée
Une ascension fulgurante, de riches barons blancs aux demeures somptueuses qui envoyaient leur linge se faire laver en Europe, des sorties au théâtre... Derrière cette vie confortable se cache pourtant une toute autre réalité, beaucoup moins luxueuse: celle des seringueiros, les travailleurs du latex. Ce sont eux qui furent les personnages principaux du “Ciclo da Borracha” qui a eu lieu à son apogée entre les années 1879 et 1912.
Devenir seringueiro durant la fièvre du caoutchouc était un chemin sans retour. La promesse d’une vie meilleure qui s’effaçait au fil des semaines et des mois passés dans les plantations. Entre les mains des barons du caoutchouc (les patrons des plantations), les travailleurs se retrouvent pris au piège. Ils furent tout d’abord missionnés pour exterminer les populations indigènes des plantations. Le baron faisait ensuite construire à l’endroit de leur village détruit, le “barracão”, le siège de la plantation d'hévéa.
La vie des travailleurs n’était pas facile. Lorsqu’ils arrivaient pour la première fois au cœur de la forêt pour y travailler, il leur fallait dans un premier temps tout acheter. A peine arrivés, ils devaient donc d’abord s’endetter auprès des barons pour l’achat de leur nourriture, maigres provisions pour tenir plusieurs semaines dans les plantations, ainsi que pour l’achat du matériel nécessaire à la récolte du latex.
Après plusieurs jours pénibles à recueillir le liquide puis à le transformer en caoutchouc, le seringueiro revenait auprès du propriétaire afin de lui vendre sa marchandise. Toutefois, le prix versé pour son dur travail n’était pas très élevé et le travailleur devait aussitôt dépenser son maigre butin pour régler ses dettes ou s’endetter de nouveau dans l’achat de matériels neufs. L’argent gagné n’était donc jamais suffisant et le seringueiro se retrouvait sans cesse redevable envers le riche baron.
Sur place, leurs conditions de vie étaient par ailleurs extrêmement difficiles, la routine quotidienne était pesante, il fallait se lever tôt pour récolter le latex, la chaleur et l’humidité étaient assommantes, les jours de congé quasi inexistants et leur lieu de couchage était très précaire. Beaucoup mouraient de maladies telles que la Malaria ou sous les griffes d’animaux sauvages.
Parmi ceux qui réussissaient tant bien que mal à rembourser leurs dettes en espérant rentrer chez eux, certains étaient assassinés sous ordre du baron afin d’être dépouillé du peu qu’ils avaient durement gagné.
Seringueiros derrière les boules de caoutchouc
(Source: https://www.newsrondonia.com.br/noticias/amazonia+e+o+ciclo+da+borracha/59539)
La fièvre du caoutchouc et le rayonnement international de villes telles que Manaus furent intenses mais très brefs. Lorsque le commerce du précieux latex s’arrête brusquement au tout début du XXème siècle, Manaus s’effondre. Les riches barons et européens rassemblent leurs richesses et quittent la ville pour retourner en Europe. La capitale entre alors dans une période de stagnation économique.
Aujourd’hui, l’Asie demeure encore le principal producteur de caoutchouc naturel. C’est la Thaïlande qui est d’ailleurs le premier pays exportateur, avec plus d’un tiers de la production mondiale.
Si vous souhaitez en apprendre plus sur la production de caoutchouc, une visite au musée du caoutchouc est prévue lors des croisières sur le Rio Negro ! L’occasion de découvrir à quoi ressemblait la vie à l’époque.